Pauline Imbach. «Monsieur le Président, vous avez déclaré, nous tirant presque des larmes : “Y a-t-il un seul parmi nous qui peut rester indifférent à la révolte de ceux qui, dans les pays du Sud, ne peuvent plus manger à leur faim ?” Ainsi la France doublera “dès cette année son enveloppe d’aide alimentaire en la portant à 60 millions d’euros pour 2008” pour faire face à la crise alimentaire mondiale. 60 millions d’euros, dites-vous…
Le premier point important consiste à relativiser la générosité du montant que vous annoncez. En effet, les sommes envoyées chaque année par les migrants originaires des pays du Sud, qui profitent directement aux populations sur place, sont estimées au niveau mondial à 195 milliards d’euros en 2006. Ces flux financiers solidaires privés représentent, pour la même année, en Côte- d’Ivoire 183 millions d’euros, au Burkina Faso 329 millions d’euros, en Haïti 680 millions d’euros et en Egypte 2.359 millions d’euros. Ces pays, qui connaissent actuellement des émeutes de la faim, reçoivent donc entre 3 et 36 fois plus de la part de leurs ressortissants émigrés que de l’aide alimentaire que vous annoncez en fanfare.
Le deuxième point porte sur l’aide publique au développement (APD) en général. Dès 1970, les pays riches s’étaient engagés à porter leur APD à 0,7% de leur revenu national brut (RNB). Pourtant, en 2007, l’aide de la France est estimée à seulement 0,4% du RNB. Si l’on ajoute que les manipulations statistiques concernant l’APD sont faciles et fréquentes, on voit que le montant annoncé ne reflète en rien les sommes nouvellement libérées pour le développement. Nous voilà très loin des engagements pris il y a maintenant trente-huit ans!
Le troisième point porte sur le contenu de cette aide publique au développement, ce qui revient à se poser la question du montant réel transféré aux populations du Sud. En effet, environ 32% de l’APD française est constitué de remises sur des dettes dont la majeure partie est illégitime et odieuse. Cette dernière notion juridique de dette a d’ailleurs fait l’objet de deux rapports rendus en 2007 par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et la Banque mondiale. Selon le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), ces dettes doivent être annulées unilatéralement et sans condition par la France car elles n’ont pas profité aux populations du Sud et ont été contractées avec la complicité des autorités françaises de l’époque. En 2006, la Norvège a reconnu sa responsabilité dans l’endettement illégitime de cinq pays (Equateur, Egypte, Jamaïque, Pérou et Sierra Leone), et a décidé d’annuler unilatéralement une part des créances qu’elle détient envers ces pays à hauteur de 62 millions d’euros. La seule issue acceptable pour la France consiste à réaliser un audit de la dette, sous la responsabilité de l’Etat, avec la participation de délégués des organisations de solidarité Nord-Sud qui ont fait la preuve d’une expertise en matière de dette. Hors remises de dette, l’APD française tombe alors à 0,27% du RNB!
Le bluff ne s’arrête pas là. L’APD comporte des “prêts concessionnels”, c’est-à-dire des prêts accordés à un taux inférieur à celui du marché. Ces sommes prêtées, majorées des intérêts, doivent être remboursées intégralement par les pays en développement. Ainsi, entre 1996 et 2003, en ce qui concerne les créances bilatérales à taux préférentiel, les pays en développement ont remboursé 20 milliards d’euros de plus qu’ils n’ont reçu en nouveaux prêts. Derrière l’étiquette “d’aide”, l’APD accroît l’endettement des pays du tiers-monde, alors que la dette est l’un de principaux obstacles à la satisfaction des besoins humains fondamentaux.Enfin, l’APD est un véritable fourre-tout: elle comprend les salaires des expatriés travaillant dans le cadre de la coopération, les frais de scolarité de leurs enfants dans les écoles françaises, les dépenses liées à la scolarité des étudiants du Sud dans un pays riche (alors que rien ne garantit que leurs pays en profiteront un jour), les frais “d’accueil” des étrangers par exemple, les frais de fonctionnement de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et, les apports de la France aux agences multilatérales (Banque mondiale, FMI…). Rappelons également qu’une partie de l’aide constitue de l’aide liée car elle revient aux pays donateurs, entre autres par l’achat d’aliments, de médicaments, d’équipements et de services provenant du Nord.
Notons, pour finir, que les principaux bénéficiaires de l’APD sont des pays à revenu intermédiaire alliés aux grandes puissances. Toutes ces précisions montrent qu’il est indécent de votre part d’affirmer une quelconque “générosité” ou “compassion”. Pour terminer ce courrier, je me permets de vous donner quelques conseils: réformez l’aide publique au développement, tenez vos engagements sur cette aide, arrêtez de soutenir des dictateurs qui affament leurs populations, annulez sans conditions les dettes illégitimes et odieuses de ces pays et versez des réparations aux peuples du Sud que la France, comme les autres métropoles coloniales, exploite sous différentes formes depuis des siècles.
Monsieur le Président, il est temps de prendre vos responsabilités car, derrière le cynisme des effets d’annonce, des gens ont faim et leurs souffrances sont bien plus réelles que vos réalisations effectives en leur faveur. Par les hautes fonctions que vous occupez depuis longtemps, vous portez une grande part de responsabilité. Monsieur le Président, comme vous l’avez dit à l’ONU le 25 septembre 2007, “les pauvres et les exploités se révolteront un jour contre l’injustice qui leur est faite”. J’espère que ce jour viendra vite.»
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