mardi 30 août 2011

Quelles sont les causes de la famine ?


Nous vivons dans un monde d’abondance. Selon les chiffres de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), on produit aujourd’hui de la nourriture pour 12 milliards de personnes, alors que la planète compte 7 milliards d’êtres humains. De la nourriture, il y en a. Alors pourquoi dans ce cas une personne sur sept dans le monde souffre de la faim ?
La menace alimentaire qui touche plus de 10 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique remet en lumière la fatalité d’une catastrophe qui n’a pourtant rien de naturelle. Sécheresses, inondations, conflits armés... tout cela contribue à aggraver une situation d’extrême vulnérabilité alimentaire, mais ce ne ce sont pas les seuls facteurs explicatifs.
La situation de famine dans la Corne de l’Afrique n’est pas une nouveauté. La Somalie vit une situation d’insécurité alimentaire depuis 20 ans. Et, périodiquement, les médias nous remuent de nos confortables divans en nous rappelant l’impact dramatique de la faim dans le monde. En 1984, près d’un million de morts en Ethiopie ; en 1992, 300.000 somaliens ont perdu la vie à cause de la faim ; en 2005, près de cinq millions de personnes au bord de la mort au Malawi, pour ne citer que quelques cas.
La faim n’est pas une fatalité inévitable qui affecterait seulement certains pays. Les causes de la faim sont politiques. Qui contrôle les ressources naturelles (terres, eau, semences) qui permettent la production de nourriture ? A qui profitent les politiques agricoles et alimentaires ? Aujourd’hui, les aliments sont devenus une marchandise et leur fonction principale, nous nourrir, est mise à l’arrière plan.
On pointe du doigt la sécheresse, avec les pertes de récoltes et de bétail consécutives, comme l’une des principales explications de la famine dans la Corne de l’Afrique. Mais alors comment expliquer que des pays tels que les Etats-Unis ou l’Australie, qui subissent régulièrement de graves sécheresses, ne souffrent pas de famines extrêmes ? Evidement, les phénomènes météorologiques peuvent aggraver les problèmes alimentaires, mais ils ne suffisent pas à expliquer les causes de la faim. En ce qui concerne la production d’aliments, le contrôle des ressources naturelles est la clé pour comprendre pour qui et pourquoi on les produits.
Dans plusieurs pays de la Corne de l’Afrique, l’accès à la terre et un bien rare. L’achat massif de sols fertiles de la part d’investisseurs étrangers (agro-industrie, gouvernements, fonds spéculatifs...) a provoqué l’expulsion de milliers de paysans de leurs terres, diminuant ainsi leur capacité à satisfaire leurs propres besoins alimentaires de manière autonome. Ainsi, tandis que le Programme Mondial Alimentaire tente de nourrir des milliers de réfugiés au Soudan, des gouvernements étrangers (Koweït, Emirats arabes unis, Corée...) y achètent des terres pour produire et exporter des aliments pour leurs propres populations.
Il faut également rappeler que la Somalie, malgré les sécheresses récurrentes, était un pays autosuffisant dans la production d’aliments jusqu’à la fin des années 1970. Sa souveraineté alimentaire a été mise en pièce au cours des trois décennies suivantes. A partir des années 1980, les politiques imposées par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale pour que le pays puisse rembourser sa dette au Club de Paris se sont traduites par l’imposition d’un ensemble de mesures d’ajustement. En ce qui concerne l’agriculture, ces dernières impliquaient une politique de libéralisation commerciale et d’ouverture des marchés, permettant ainsi l’entrée massive de produits subsidiés - comme le riz et le blé - des multinationales agro-industrielles nord-américaines et européennes, qui ont commencé à vendre leurs produits en dessous de leur prix de production, faisant ainsi une concurrence déloyale aux produits autochtones.
Les dévaluations périodiques de la monnaie somalienne ont également provoqué une hausse des prix des intrants agricoles tandis que la politique en faveur des monocultures pour l’exportation a progressivement forcé les paysans à abandonner les campagnes. La même chose s’est produite dans d’autres pays, non seulement en Afrique, mais aussi en Amérique latine et en Asie.
La montée des prix des céréales de base est un autre des éléments désignés comme détonateurs des famines dans la Corne de l’Afrique. En Somalie, les prix du maïs et du sorgho rouge ont respectivement augmenté de 106 et 180% par rapport à l’année dernière. En Ethiopie, le coût du blé a augmenté de 85% par rapport à 2010. Et au Kenya, la valeur du maïs a augmenté de 55% en un an. Des hausses qui ont rendus ces aliments inaccessibles.
Mais quelles sont les raisons de cette escalade des prix ? Plusieurs indices pointent la spéculation financière sur les matières premières alimentaires. Les prix des aliments sont déterminés dans les Bourses de valeurs, dont la plus importante, à l’échelle mondiale, est celle de Chicago, tandis qu’en Europe les aliments sont commercialisés dans les marchés à terme de Londres, Paris, Amsterdam et Francfort. Mais, aujourd’hui, la majeure partie de l’achat et de la vente de ces marchandises ne correspond pas à des échanges commerciaux réels.
On estime, d’après Mike Masters, responsable du fonds de pension Masters Capital Management, que 75% des investissements financiers dans le secteur agricole sont de caractère spéculatif. On achète et on vend des matières premières dans le but de spéculer avec elles en faisant un profit qui se répercute finalement dans l’augmentation du prix de la nourriture pour le consommateur final. Les mêmes banques, fonds à hauts risques, compagnies d’assurances, qui ont provoqué la crise des “subprimes” sont celles qui spéculent aujourd’hui avec la nourriture, profitant de marchés globaux profondément dérégulés et hautement rentables.
La crise alimentaire à l’échelle globale et la famine dans la Corne de l’Afrique en particulier sont les fruits de la globalisation alimentaire au service des intérêts privés. La chaîne de production, de distribution et de consommation des aliments est entre les mains d’une poignée de multinationales qui placent leurs intérêts particuliers au dessus des nécessités collectives. Tout au long de ces dernières décennies, elles ont miné, avec le soutien des institutions financières internationales, la capacité des Etats du sud à décider sur leurs politiques agricoles et alimentaires.
Revenons au début. Pourquoi la faim existe-t-elle dans un monde d’abondance ? La production d’aliments a été multipliée par trois depuis les années 1970, tandis que la population mondiale n’a fait que doubler depuis lors. Nous ne sommes donc pas face à un problème de production de nourriture, mais bien devant un problème d’accès à la nourriture. Comme le soulignait le rapporteurs de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, dans une interview au journal “El Pais” : “La faim est un problème politique. C’est une question de justice sociale et de politiques de redistribution”.
Si nous voulons en finir avec la faim dans le monde, il est urgent d’opter pour d’autres politiques agricoles et alimentaires qui mettent au centre de leur préoccupation les personnes et leurs besoins, ceux qui travaillent la terre et l’écosystème. Il s’agit de parvenir à ce que le mouvement international Via Campesina appelle la “souveraineté alimentaire”, et de récupérer la capacité de décider sur ce que nous mangeons. En reprenant un des slogans les plus connus du Mouvement du 15-M : “une démocratie réelle, maintenant” dans l’agriculture et l’alimentation est nécessaire.

Esther Vivas 

Cet article a été publié comme opinion dans le journal “El País”, 30/07/2011. 
Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be

mardi 16 août 2011

La hausse des prix alimentaires menace les plus pauvres (Banque mondiale)


La hausse récente des prix des produits alimentaires, qui frôlent actuellement des records, menace les populations les plus pauvres, en particulier dans la Corne de l'Afrique, a averti lundi la Banque mondiale.
En juillet, les prix des produits alimentaires à l'échelle de la planète étaient en hausse de 33% sur un an, tandis que ceux du pétrole progressaient de 45%, emmenant avec eux les prix des engrais, a indiqué l'institution de Washington dans un communiqué.
"La persistance de prix alimentaires élevés et de la faiblesse des stocks de nourriture indiquent que nous sommes encore dans une zone de danger, les populations les plus vulnérables étant les moins à même de faire face", a commenté le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, cité dans le communiqué.
"Il est vital d'être vigilant en raison des incertitudes et de la volatilité actuelles. Il n'y a rien pour amortir", a-t-il ajouté.
Les prix des produits alimentaires sont à des niveaux frôlant les records enregistrés en 2008 et ont largement contribué à la famine qui frappe actuellement la Corne de l'Afrique, indique un rapport de l'institution.
Au cours des trois derniers mois, 29.000 enfants de moins de cinq ans sont morts en Somalie et quelque 600.000 autres sont en danger dans la région, ajoute la Banque mondiale. La crise menace au total les vies de plus de 12 millions de personnes dans ces pays.
L'institution prévoit de fournir 686 millions de dollars d'aides à la Corne de l'Afrique.
Mais pour Robert Zoellick, qui a plusieurs fois appelé le G20 à faire de la crise alimentaire une priorité, la région a besoin en urgence de plus d'argent.
AFP
Jusqu'à présent 1,03 milliard de dollars ont été promis au niveau mondial, dont 870 millions pour l'urgence. Il faudrait 1,45 milliard de dollars supplémentaires, indique la Banque mondiale.
Le rapport de l'institution souligne par ailleurs la forte volatilité des prix. Celui du riz a ainsi augmenté de 11% entre mai et juillet après une baisse continue depuis février.
Et les prix alimentaires continuent de fluctuer fortement en fonction des pays.
Ainsi le prix du maïs en juin 2011 ont doublé ou plus sur un an sur les marchés de Kampala (Ouganda), Mogadiscio (Somalie) et Kigali (Rwanda) mais a baissé jusqu'à 19% à Mexico ou à Port-au-Prince (Haïti).

Les prix alimentaires en hausse menacent les plus pauvres



La hausse récente des prix des produits alimentaires, qui frôlent actuellement des records, menace les populations les plus pauvres, en particulier dans la Corne de l'Afrique, a averti lundi la Banque mondiale.
En juillet, les prix des produits alimentaires à l'échelle de la planète étaient en hausse de 33% sur un an, tandis que ceux du pétrole progressaient de 45%, emmenant avec eux les prix des engrais, a indiqué l'institution de Washington.

"La persistance de prix alimentaires élevés et de la faiblesse des stocks de nourriture indiquent que nous sommes encore dans une zone de danger, les populations les plus vulnérables étant les moins à même de faire face", a commenté le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick.

Les prix des produits alimentaires sont à des niveaux frôlant les records enregistrés en 2008 et ont largement contribué à la famine qui frappe actuellement la Corne de l'Afrique, indique un rapport de l'institution.

Au cours des trois derniers mois, 29.000 enfants de moins de cinq ans sont morts en Somalie et quelque 600.000 autres sont en danger dans la région. La crise menace au total les vies de plus de 12 millions de personnes.

L'institution prévoit de fournir 686 millions de dollars d'aides à la Corne de l'Afrique. Mais pour Robert Zoellick, la région a besoin en urgence de plus d'argent. Jusqu'à présent 1,03 milliard de dollars ont été promis au niveau mondial. Il faudrait 1,45 milliard de dollars supplémentaires, indique la Banque mondiale.

La famine ravage un camp de réfugiés somaliens en Lire l'article sur Jeuneafrique.com : La famine ravage un camp de réfugiés somaliens en Éthiopie | Jeuneafrique.com - le premier site d'information et d'actualité sur l'Afrique Éthiopie



Mohamed Ibrahim est arrivé en Ethiopie, fuyant la sécheresse et la famine qui dévastent son pays, la Somalie. Mais la malnutrition qui sévit dans le camp de Dolo Ado y a tué son fils, un bébé d'un an.

"Je pensais que si je venais ici, j'aurais une vie meilleure qu'en Somalie", dit-il assis devant sa tente dans le camp de Kobe, qui fait partie du complexe de Dolo Ado, dans le sud de l'Ethiopie.

"Je suis triste parce que mon bébé est mort", dit cet homme dont le fils n'a pas été admis à l'hopital du camp parce que l'établissement manquait de médicaments pour enfants.

Comme celle de Mohamed Ibrahim, des centaines de familles ont fui la Somalie, le pays le plus gravement touché par la sécheresse et parfois la faim qui frappent la Corne de l'Afrique.

Mais elles n'ont trouvé en Ethiopie que des conditions de vie spartiates dans des camps surpeuplés et menacés par les maladies.

Les organisations humanitaires disent que plus de 30% d'enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition dans les camps de réfugiés éthiopiens et que les pneumonies et rougeoles ont fait leur apparition dans des populations affaiblies.

"Les taux de malnutrition et de mortalité sont supérieurs aux seuils d'urgence. Ca nous pose un grand problème", dit Allen Maina, une responsable sanitaire de l'ONU.
"Rien vu de pire"

Dolo Ado accueille 118.400 réfugiés somaliens, dont 78.000 arrivés cette année.

"La fourniture en eau et les conditions sanitaires sont très mauvaises. Cela provoque des diarrhées, qui entraînent la malnutrition. C'est un cercle vicieux", dit le Dr Carolina Nanclares, de l'ONG Médecins sans frontières (MSF).

"Je n'ai jamais rien vu de pire", dit-elle.

De nombreux Somaliens affrontent un dilemme : fuir avec leurs enfants affaiblis par la malnutrition ou tenter de rester au pays pour s'en occuper.

Farah Mohamed Malim, 46 ans, en est un exemple. Il s'est rendu dans une clinique de MSF du camp, avec son fils de 4 ans. L'enfant va mieux, mais un autre de ses enfants, un bébé de 10 mois, a dû rester avec sa mère, qui est aussi malade et trop faible pour voyager.

"J'ai peur qu'il ne meure", dit-il.
"On meurt de faim"

La coordinatrice médicale de MSF, Vannessa Cramond, reconnaît que "les gens doivent prendre des décisions impossibles. Il faut que la communauté internationale y mette fin", dit-elle.

Elle note que les plus petits ne sont pas les seuls atteints par la malnutrition, un tiers des admissions concernant des plus de 5 ans.

"Cela suggère une urgence à une échelle plus large dans les familles", dit-elle. La responsable estime qu'il faudra plusieurs mois avant que les taux de malnutrition et de mortalité ne baissent.

Dawey Ibrahim a deux enfants de 8 et 15 ans qui souffrent de malnutrition, un autre de 18 ans s'évanouit régulièrement.

"Nous avons quitté la Somalie parce que nous n'avions rien. Aujourd'hui, on meurt de faim", dit-elle.

samedi 13 août 2011

Haïti - Social : Sécurité alimentaire, Haïti en phase 2, avant la famine...

La Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) a déclaré ce jeudi qu'Haïti est sur le bord de la famine due à la sécheresse, aux tremblements de terre et aux phénomènes météorologique qui ont frappé le pays et qu'il est difficile pour les Haïtiens de trouver de la nourriture.

« Actuellement, les gens sont dans ce que nous appelons une situation de phase deux : il est difficile de trouver de la nourriture » a indiqué le représentant de cette institution, l'agronome Gary Mathies, la phase 3 étant une situation de famine, toutefois le CNSA craint que si un cyclone affecte la production agricole, l'on pourrait passer en phase 3.

Il a souligné qu'en « raison de facteurs politiques, sociales et naturelles, que dans quelques mois la quantité de nourriture adéquate ne sera plus suffisante pour la nation », ce qui va mettre les gens dans une situation d'insécurité alimentaire, ajoutant que l’augmentation du taux inflation rapporté récemment [proche de 10%] a « rendu la situation plus difficile » pour les Haïtiens. De plus, « depuis les élection de mars certains ministères ne débourser pas l'argent et les investisseurs sont dans une situation d'attente » déplore M. Mathies.

Le représentant de la Coordination Nationale de Sécurité Alimentaire a déclaré que le manque de pluie en mars 2011 a également « endommagé la production agricole prévue pour août et septembre », ce faisant il y aura une quantité de nourriture moindre que prévu.

jeudi 4 août 2011

Famine : la FAO pointe les biocarburants et la surexploitation des sols



Déjà au programme du G20 de l’agriculture en juin dernier, la volatilité des prix alimentaires est une des causes de la famine qui ravage l’Afrique de l’Est. A Mogadiscio, par exemple, les prix du maïs et du sorgho, une céréale, ont plus que doublé (avec des hausses respectives de 106 % et 180 %) en un mois, selon la FAO. En février déjà, la branche alimentaire de l’ONU mettait en garde contre la hausse continue des prix des céréales en Somalie depuis cinq mois. Au-delà du cas somalien, un rapport de la FAO publié en juillet (PDF http://www.fao.org/fileadmin/user_u...) montre que les prix alimentaires tendent globalement à être de plus en plus élevés et instables depuis une dizaine d’années. Ils fluctuent actuellement à un niveau deux fois plus élevé que dans les années 1990-2005. Cette courbe ascendante vient aggraver la situation en cas de pic des prix, comme ce fut le cas en 2008 lorsque des émeutes de la faim ont éclaté dans plusieurs pays, de l’Afrique à Haïti. Le second pic, entamé mi-2010, n’est toujours pas terminé, souligne ce rapport. L’indice des prix des céréales a ainsi augmenté de 57 % entre juin et décembre 2010.
UNE DEMANDE CROISSANTE, PORTÉE PAR LES AGROCARBURANTS
De multiples facteurs permettent d’expliquer ces hausses : fermeture des exportations en temps de crise, spéculation, diminution et distribution inégale des stocks alimentaires – la Chine contrôle, depuis les années 1990, 75 % des stocks mondiaux de maïs, 50 % du blé et 78 % du riz – mais aussi déclin des investissements et des dépenses publiques dans l’agriculture depuis les années 1980. Mais au-delà de ce faisceau, la FAO met en cause des phénomènes à plus long terme. L’organisation pointe ainsi la demande toujours grandissante en denrées agricoles. "Ce n’est pas qu’il n’y a pas assez de ressources pour satisfaire les besoins des hommes. Par contre, il n’y en a pas assez pour répondre à leur demande", résume le rapport. La demande en matière d’alimentation, considérée comme peu flexible, s’est encore accélérée entre les années 1990 et 2000, boostée par la hausse des revenus et l’urbanisation, notamment dans les pays émergents. Conséquence : une modification des habitudes alimentaires vers plus de sucre, plus d’huile et plus de viande. Ainsi, en Chine, la consommation de lait a décuplé et celle de viande a quadruplé depuis les années 1960. Pourtant, à un niveau global, la consommation de céréales n’a augmenté que de 1,8 % depuis les années 1980. C’est donc du côté des agrocarburants que se trouve la cause principale de la hausse de la demande. L’industrie des agrocarburants, basée dans les pays émergents comme dans les pays développés, absorbe 40 % du maïs produit aux Etats-Unis et les deux tiers des huiles végétales de l’UE. Ce développement spectaculaire a été rendu possible, souligne la FAO, par un soutien public massif sous formes de subventions, d’exonération de taxes et d’obligations d’achat, estimé à 5,6 milliards d’euros en Europe et aux Etats-Unis. En parallèle, le soutien à tous les autres secteurs agricoles s’amenuisait. Ce qui amène la FAO à conclure que "l’actuel emballement de la demande mondiale n’est pas la conséquence du développement économique mondial, mais le résultat d’une politique publique menée par les Etats-Unis et les gouvernements de l’UE, le résultat d’un choix politique clair et réversible." Pour Jayati Ghosh, économiste indienne tenant un blog sur le Guardian, ce rapport renverse ainsi "le mythe selon lequel la consommation accrue des pays en développement (Inde et Chine avant tout) mène à une hausse de la demande globale et donc à une hausse des prix des céréales."
L’OFFRE SUIT-ELLE ENCORE LA DEMANDE ?
Face à cette demande dévorante, la FAO redoute que les crises alimentaires soient annonciatrices de la fin d’une longue période de hausse de la production agricole. Certes, la production mondiale a triplé entre 1960 et 2005, mais la courbe a tendance à se tasser depuis quelques années. Par exemple, les rendements de riz stagnent dans plusieurs régions d’Asie. Car les variétés améliorées des produits alimentaires de base ont un rendement à peine équivalent à celles conçues il y a trente ans, les innovations ayant seulement servi à contrer les nouveaux parasites et maladies, de plus en plus résistants. Les ressources bon marché sur lesquelles repose cette agriculture – phosphate pour les engrais, pétrole et eau – se raréfient. Quant à la terre, 10 millions d’hectares sont détruits chaque année par la surexploitation des sols. De 10 à 15 % des terres irriguées sont touchées par la salinisation (accumulation de sels dans les sols), à cause du surplus d’eau. Côté pollution, l’impact global de la contamination par l’azote – fortement suspectée par ailleurs dans la prolifération des algues vertes – coûterait de 70 à 320 milliards d’euros par an, soit plus du double des bénéfices monétaires issus de l’agriculture. Enfin, l’agriculture est l’une des premières causes d’émissions de gaz à effet de serre, contribuant davantage au réchauffement climatique que les transports. Après avoir remis en question les fondements de la demande croissante en denrées agricoles, la FAO pose donc la question des limites de l’offre. En tout cas, les deux parties du marché agricole ont, semble-t-il, de plus en plus de mal à se rejoindre.
 Angela Bolis


mercredi 3 août 2011

La famine s'étend en Somalie


Au sud de la Somalie, plusieurs milliers de soldats montent la garde. Jour et nuit, ils circulent dans les rues de Doblei et dans les alentours. Ils sont partout. En mai dernier, les troupes d'al-Chebab ont attaqué la ville, les combats ont duré plusieurs jours. En février et mars déjà, les milices avaient tenté de prendre le contrôle de la localité. Sans succès. «Ils sont encore très près, à tout juste 60 km. On s'attend à une attaque sous peu, d'ici un jour ou deux. Ils veulent nous coloniser, comme ils l'ont fait dans presque tout le pays, mais on ne les laissera pas faire!» Aziz est soucieux. Responsable d'une organisation humanitaire locale, African Rescue Committee, il s'inquiète pour les réfugiés. «Les donateurs sont de plus en plus réticents à s'impliquer dans la région. À l'inverse, les réfugiés sont toujours plus nombreux à débarquer chaque jour ; affamés, malades et sans aucune ressource.»

Depuis plus d'un an, les rebelles islamistes d'al-Chebab ont expulsé les ONG internationales des zones qu'ils contrôlent, la plus grande partie du Sud et du Centre. Selon eux, elles seraient toutes au service des puissances occidentales. La Croix-Rouge et MSF sont encore présentes dans certaines régions, mais leur action est limitée. Pour les rares ONG encore présentes, la tâche est ardue. Elles font face à une double contrainte: de très strictes conditions de travail imposées par al-Chebab et surtout, les sources de financement se font rares, les pays donateurs craignant que l'argent ne soit détourné au profit d'insurgés, qualifiés de terroristes par les États-Unis.

L'Unicef dit avoir envoyé de l'aide, en juillet, pour 65.000 enfants dans le Sud somalien grâce à des partenaires sur le terrain. L'ONG d'Aziz distribue régulièrement les rations alimentaires que lui fournissent les Nations unies. «Sans cela, on serait obligé de regarder toutes ces familles mourir de faim.»

Hassan vient d'arriver. Il détache les sacs de sa charrette et les attache à un arbre. Il a marché avec toute sa famille pendant plusieurs semaines avant d'atteindre la ville de Doblei. «La sécheresse avait déjà détruit en grande partie mes récoltes. Puis les miliciens d'al-Chebab sont arrivés, ils m'ont menacé, ont pris mes terres et nous ont mis dehors. Je ne rentrerai jamais chez moi, pas avant qu'ils ne soient partis.» Un homme s'avance, lui aussi vient d'arriver, il s'immisce dans la conversation. «Ces miliciens sont des gens mauvais, ils ne font que le mal partout où ils passent. Ils prennent les enfants pour les enrôler dans leurs milices. On ne veut plus d'eux.» Fin juillet, de violents combats dans Mogadiscio entre la force africaine (Amisom) et les insurgés d'al-Chebab ont encore poussé sur les routes vers le sud plus de Somaliens.

«Ils ont tout détruit» 

Fatima tient son bébé serré contre son long voile islamique. Elle a fui la capitale au moment des violences. «Quand les Chebab voient une femme, si sa façon de s'habiller ne leur convient pas, ils la menacent, lui jettent des pierres et même parfois ils la tuent. Juste pour ça.» Ses deux enfants portent encore les cicatrices des exactions des miliciens.

Derrière elle, les maisons aussi affichent les stigmates de ces violences incessantes. Des impacts de balles dans certains murs, un peu plus loin l'hôpital est fermé, il a été bombardé par erreur par l'armée. À la sortie de la ville, une famille est assise sous un arbre. Ils ont marché pendant deux mois pour atteindre Doblei et n'ont plus rien, ni charrette ni animaux, à peine quelques sacs. Un minibus arrive pour les emmener au Kenya. «On nous a dit qu'on trouverait de l'aide là-bas. Beaucoup sont déjà partis. De toute façon, on n'a plus rien, les Chebab ont tout détruit dans le village.»

Ahmed est le chef du groupe. À la simple évocation d'al-Chebab, il se bouche le nez, signe de dégoût profond. «Ces gens ne sont pas de bons musulmans, ils sont là pour piller et tuer les Somaliens. S'ils sentent une odeur de cigarette dans la rue, ils arrêtent la première personne qui passe et ils lui brûlent les yeux. Pour l'exemple. Mais si Dieu le veut, ils seront bientôt vaincus et partiront.» Tout le monde s'entasse à l'intérieur du bus. Dans quelques heures, ils auront rejoint les camps de réfugiés de Dadaab.


Edith Bouvier