vendredi 20 novembre 2009

“La faim n’est pas une fatalité !”

Pour Olivier De Schutter, la faim dans le monde est le résultat d’une politique de sous-investissement dans « l’agriculture familiale ». A travers l’exemple du Brésil, il démontre qu’avec une politique volontariste, la situation peut s’améliorer. Juriste belge et professeur de droit international à l’université catholique de Louvain, Olivier De Schutter est rapporteur pour le droit à l’alimentation à l’ONU depuis mai 2008. Hier, il a accepté de nous répondre.

FRANCE-SOIR. Quels sont les pays les plus touchés par la famine ?
OLIVIER DE SCHUTTER. Aujourd’hui, 1,2 milliard de personnes souffrent de la faim à travers le monde. Les régions les plus touchées sont l’Afrique centrale, l’Amérique latine, avec notamment le Guatemala, et Haïti et l’Asie du Sud, qui compte, rien qu’en Inde, 230 millions de personnes souffrant de la faim. Mais la liste est très longue, une trentaine de pays se trouvent dans une situation de sous-alimentation.

Quels sont les différents facteurs qui rendent certaines régions plus vulnérables que d’autres ?
Tout d’abord, il faut distinguer la famine de l’insécurité alimentaire structurelle (la malnutrition). La famine est ponctuelle, le plus souvent due à des phénomènes météorologiques, comme cela a été le cas en Amérique centrale après le phénomène El Nino. Mais les catastrophes naturelles ne sont pas à elles seules la cause de ce chiffre catastrophique. La malnutrition en est le facteur principal. Elle est liée à des politiques de sous-investissement dans l’agriculture, et plus particulièrement l’agriculture familiale, considérée comme méprisable par l’Aide publique au développement (APD). Aujourd’hui, les conséquences sont dramatiques. Les petits paysans des pays en développement sont les plus touchés, alors qu’ils sont les plus nombreux. Le dumping agricole des pays développés participe également à la destruction des vivrières (NDLR : forme d’agriculture qui consiste à cultiver des produits essentiellement destinés à nourrir la population locale), les petits fermiers étant des centaines de fois moins compétitifs qu’un paysan européen. Autre facteur, la baisse de l’intervention des Etats dans la régulation des prix.

Existe-t-il des pays qui ont réussi à s’en sortir ?
L’exemple le plus remarquable est le Brésil. A son arrivée au pouvoir en 2003, Lula a mis la faim au centre de sa stratégie de développement du pays. Depuis, cette initiative est couronnée de succès. Il y a eu une baisse de 73 % de la malnutrition infantile. Lula soutient l’agriculture familiale en facilitant l’accès au crédit des petits agriculteurs. Il a également élaboré un programme consistant à équiper les villages de citernes. L’accès à l’eau facilité, c’est tout le processus agricole qui est dopé. Le Brésil est la preuve qu’un pays volontariste parvient à s’en sortir.

Une évolution favorable globale est donc possible ?
J’y crois, la faim n’est pas une fatalité ! C’est le résultat d’une politique mal conçue. Le marché mondial demande à ses fournisseurs une production toujours plus rapide. Les petits agriculteurs ne peuvent pas tenir la cadence. Pour reparler de notre exemple du Brésil, on s’aperçoit qu’il ne suffit pas seulement d’augmenter la production, car tous les producteurs ne sont pas en mesure de le faire. Comme on l’entend souvent, le problème n’est pas l’accès aux aliments, mais un manque de revenu. Il faut donc renforcer le pouvoir d’achat des fermiers les plus modestes, dont dépend la majorité des populations des pays en développement.

Propos recueillis par Laura Jaumouillé, le mardi 17 novembre 2009 à 04:00

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