La canicule en Russie et les mauvaises conditions climatiques dans les principaux pays exportateurs ont fait grimper les prix et ont attiré les spéculateurs sur les marchés du blé
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Les prix du blé se sont envolés ces derniers jours sur les marchés américains (Cbot, basé à Chicago) et européen (Euronext, basé à Paris) des matières premières agricoles. À près de 200 € la tonne, le blé atteint son plus haut niveau depuis 2008, tout en restant encore loin des 300 € la tonne observé au plus fort de la crise des matières premières agricoles. L'année 2008 avait été marquée par des émeutes de la faim dans de nombreux pays en développement.
Comment évoluent les cours du blé ?
La hausse, qui s'est accélérée ces derniers jours, est continue depuis plus d'un mois. Les prix ont augmenté de plus de 50 % depuis fin juin. Cette progression mensuelle, portée par une activité spéculative considérable, est la plus forte depuis 1973.
La très forte volatilité du marché s'explique principalement par l'écart entre les bonnes perspectives de récoltes, qui ont porté le marché à la fin de l'année 2009, et la sécheresse qui s'est, depuis, abattue sur les pays exportateurs de la mer Noire dont, en premier lieu, la Russie.
Pourquoi la canicule russe a-t-elle une telle incidence ?
La canicule en Russie ne provoque pas que des incendies meurtriers dans le sud-ouest et dans l'extrême nord-est du pays. Elle est aussi à l'origine de l'envolée des cours mondiaux du blé. Touché par une vague de chaleur sans précédent, le troisième exportateur mondial de céréales a revu fortement à la baisse ses prévisions de récolte et d'exportations.
Environ dix millions d'hectares de culture ont été détruits, soit 20 % de la surface cultivable du pays. Le vice-ministre de l'agriculture Alexandre Beliaev a estimé la production de céréales du pays entre 70 et 75 millions de tonnes cette année, contre 97 millions de tonnes l'année dernière.
Pour certains experts, cette estimation serait encore largement surévaluée. « Alors qu'il avait atteint 20 millions de tonnes l'année dernière, le niveau des exportations de céréales russes devrait, au mieux, atteindre entre 5 et 10 millions de tonnes cette saison. Et si la canicule dure, le pays pourrait également privilégier sa consommation intérieure et ne rien exporter du tout », analyse Michel Portier, directeur général du cabinet de conseil Agritel. Le premier ministre russe Vladimir Poutine a d'ailleurs annoncé jeudi 5 août un embargo temporaire sur les exportations de blé.
Qu'en est-il des autres pays producteurs ?
Les perturbations en Russie ont d'autant plus d'importance que d'autres grands pays exportateurs de blé sont eux aussi touchés par des catastrophes climatiques. La canicule perturbe ainsi la production d'autres pays proches de la mer Noire, telle l'Ukraine. La Roumanie et le Kazakhstan ont, eux, souffert de précipitations trop importantes.
Les récoltes sont également attendues en repli en Europe de l'Ouest, dans des pays comme la France et l'Allemagne. Le Canada, quatrième plus gros exportateur, a lui été touché par de fortes inondations au printemps
Ces phénomènes météos exceptionnels, à l'origine de la nervosité des marchés, sont en augmentation ces dernières années. D'après Michel Portier, « les aléas climatiques, à l'origine d'à-coups de la production, sont dix fois plus importants qu'il y a un siècle ».
Seules les récoltes aux États-Unis, premier exportateur mondial, semblent tenir leurs promesses. Dans ce contexte, les conditions climatiques en Australie, où la récolte aura lieu en décembre, sont observées attentivement par tous les acteurs du marché.
Quel rôle la spéculation joue-t-elle ?
La spéculation amplifie fortement la hausse des prix. « Suite à la baisse de la rentabilité des autres placements, les spéculateurs à court terme sont de plus en plus présents sur les marchés des matières premières, notamment les matières premières agricoles, ce qui participe à la plus grande volatilité du marché du blé », explique Benjamin Louvet, associé fondateur de la société de gestion de fonds Prim'Finance.
Les acteurs traditionnels ont aussi joué un rôle. Voyant que les prix sont en train de monter, les producteurs ayant vendu leur blé (avant même de l'avoir récolté) il y a trois mois à 130 € la tonne se sont, par exemple, empressés de racheter leurs positions dans le but de profiter de l'envolée des prix. Au niveau européen, le démantèlement de la politique agricole commune (PAC) participe à l'amplification de la spéculation. « Le démantèlement de la PAC signifie la fin des stocks d'intervention, qui assuraient une certaine stabilité », explique Michel Portier.
Pourquoi le marché du blé intéresse-t-il les investisseurs ?
L'intérêt des fonds de pension et d'autres investisseurs à long terme souligne l'importance stratégique des matières premières alimentaires. En effet, la population mondiale augmente et les habitudes de consommation des habitants des pays émergents changent.
Dans les dix ans à venir, le marché asiatique va continuer à prendre du poids, poussé par la Chine où on l'importe toujours davantage de céréales pour les besoins de l'élevage, en plein boom. « Il faut 8 kg de blé pour produire un kilo de viande », rappelle Michel Portier.
« La rapidité et l'importance des mouvements financiers sur les marchés des matières premières agricoles permettent d'attirer l'attention sur les besoins de production pour l'avenir », explique Benjamin Louvet.
Y a-t-il un risque de crise alimentaire ?
La situation des marchés est moins tendue qu'en 2008. Après deux années très productives, les stocks, notamment américains, sont au plus haut. Et malgré la hausse rapide de ces dernières semaines, les prix restent inférieurs aux niveaux les plus élevés de 2008.
Le maïs et le blé étant assez interchangeables pour l'alimentation animale, les marchés concernant les deux céréales sont liés. En revanche, le prix du riz, plus indépendant, continue à baisser grâce à de bonnes perspectives de récolte en Inde.
« Il n'y aura pas d'émeutes de la faim », pronostique Michel Portier. Les pays du Maghreb, et notamment l'Égypte et l'Algérie, premier et troisième importateurs mondiaux de blé, ont mis en place des systèmes d'amortissement pour éviter des hausses brusques des prix à la consommation.
« Si la tendance à la hausse perdure, cela ne devrait pas empêcher une hausse généralisée du prix des aliments, particulièrement du pain. Les conséquences pourraient notamment être désastreuses à Haïti, plus vulnérable encore qu'en 2008 », s'inquiète Olivier Braunsteffer, directeur des programmes de Care France.
Julien DURIEZ