Interview
Sébastien Fourmy, porte-parole d'Oxfam France, de retour des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, déplore l'écart entre les moyens mis en œuvre dans un cas et la passivité dans l'autre.
Recueilli par ELIANE PATRIARCA
Hier à l'issue des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, plusieurs ONG se sont inquiétées que la crise financière ait relégué les difficultés des pays pauvres au second plan. Aux côtés des représentants des pays en développement, elles ont multiplié les appels à ne pas réduire l'aide dans ces temps difficiles pour les budgets des Etats.
Ainsi, dans un communiqué, l'organisation non gouvernementale Oxfam affirme que «ces réunions ont offert un nombre de solutions scandaleusement faible pour les pays les plus pauvres. Les dirigeants mondiaux reconnaissent qu'il y a une crise mondiale de la pauvreté, mais l'ont ignorée». Or, la faim et la malnutrition ne cessent de progresser : plus de 925 millions de personnes souffrent de la faim. «Alors que le monde développé a dégagé plus de 1000 milliards de dollars en quelques semaines pour empêcher ses banques de faire faillite, il ne parvient pas à trouver 1% de cette somme pour aider les pays les plus pauvres à surmonter la crise alimentaire»,ajoute Oxfam. Entretien avec Sébastien Fourmy, coordinateur des campagnes d'Oxfam France-Agir Ici, et de retour de Washington.
L'aide au développement et la crise alimentaire ont-elles été abordées durant ces assemblées ?
La crise financière a occulté les discussions sur la crise alimentaire. On a très peu parlé agriculture, et probablement que si on n'avait pas été là, on n'en aurait pas parlé du tout !
Or la Banque mondiale est l'une des principales institutions à promouvoir depuis des années, par ses programmes d'aide, les monocultures d'exportation dans les pays du Sud au détriment de la petite agriculture familiale et vivrière. Et les pays du Sud en paient aujourd'hui les conséquences avec la flambée des prix alimentaires et la crise qui en découle.
Finalement, en insistant, on a réussi à parler d'aide au développement le dernier jour, dimanche, alors que la plupart des ministres des Finances des pays du Nord étaient déjà repartis pour aller s'occuper de la crise fnancière en Europe !
Ces derniers jours, plusieurs organisations ou experts de l'aide alimentaire se sont dit choqués par la disproportion des moyens.
En effet, il y a un écart patent entre les moyens mis en oeuvre pour tentre de juguler la crise financière mondiale et la passivité de la communauté internationale face à la crise alimentaire et humanitaire. On réussit à trouver quelque 1000 milliards de dollars pour les banques, ce qui montre que quand la communauté internationale veut, elle peut se donner les moyens d'agir vite.
Mais quand il s'agit de la faim, chacun détourne le regard. À la réunion de la FAO en juin, seuls 6,5 milliards d'euros ont été annoncés pour relancer le système agricole de production.
Trente milliards de dollars seulement permettraient de nourrir durant un an les 925 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde. Bien sûr que cela ne serait qu'une solution à court terme, mais cela donne un ordre d'idées : c'est ce que nous avons expliqué aux assemblées du FMI et de la Banque mondiale.
Craignez-vous que l'aide au développement pâtisse de la crise financière, ce qui aggraverait encore la situation des pays en proie à la crise alimentaire?
Oui, c'est une crainte. Par exemple, dans une lettre adressée en février au chanteur Bono, Nicolas Sarkozy écrivait que «les contributions budgétaires qui seront celles de la France au cours des prochaines années seront soumises à l'évolution de la situation économique générale et aux délibérations du Parlement».
Il ya un risque effectivement que les pays les plus pauvres, ceux où les ménages dépensent plus de la moitié de leur revenu pour se nourrir, subissent les effets cumulés de la crise alimentaire et de la récession. Selon le FMI lui-même, 50 pays parmi les plus pauvres seront en 2009 au bord de la rupture. C'est pourquoi Oxfam insiste pour que les engagements des pays du Nord en matière d'aide au développement soient maintenus.
Libération