jeudi 4 août 2011

Famine : la FAO pointe les biocarburants et la surexploitation des sols



Déjà au programme du G20 de l’agriculture en juin dernier, la volatilité des prix alimentaires est une des causes de la famine qui ravage l’Afrique de l’Est. A Mogadiscio, par exemple, les prix du maïs et du sorgho, une céréale, ont plus que doublé (avec des hausses respectives de 106 % et 180 %) en un mois, selon la FAO. En février déjà, la branche alimentaire de l’ONU mettait en garde contre la hausse continue des prix des céréales en Somalie depuis cinq mois. Au-delà du cas somalien, un rapport de la FAO publié en juillet (PDF http://www.fao.org/fileadmin/user_u...) montre que les prix alimentaires tendent globalement à être de plus en plus élevés et instables depuis une dizaine d’années. Ils fluctuent actuellement à un niveau deux fois plus élevé que dans les années 1990-2005. Cette courbe ascendante vient aggraver la situation en cas de pic des prix, comme ce fut le cas en 2008 lorsque des émeutes de la faim ont éclaté dans plusieurs pays, de l’Afrique à Haïti. Le second pic, entamé mi-2010, n’est toujours pas terminé, souligne ce rapport. L’indice des prix des céréales a ainsi augmenté de 57 % entre juin et décembre 2010.
UNE DEMANDE CROISSANTE, PORTÉE PAR LES AGROCARBURANTS
De multiples facteurs permettent d’expliquer ces hausses : fermeture des exportations en temps de crise, spéculation, diminution et distribution inégale des stocks alimentaires – la Chine contrôle, depuis les années 1990, 75 % des stocks mondiaux de maïs, 50 % du blé et 78 % du riz – mais aussi déclin des investissements et des dépenses publiques dans l’agriculture depuis les années 1980. Mais au-delà de ce faisceau, la FAO met en cause des phénomènes à plus long terme. L’organisation pointe ainsi la demande toujours grandissante en denrées agricoles. "Ce n’est pas qu’il n’y a pas assez de ressources pour satisfaire les besoins des hommes. Par contre, il n’y en a pas assez pour répondre à leur demande", résume le rapport. La demande en matière d’alimentation, considérée comme peu flexible, s’est encore accélérée entre les années 1990 et 2000, boostée par la hausse des revenus et l’urbanisation, notamment dans les pays émergents. Conséquence : une modification des habitudes alimentaires vers plus de sucre, plus d’huile et plus de viande. Ainsi, en Chine, la consommation de lait a décuplé et celle de viande a quadruplé depuis les années 1960. Pourtant, à un niveau global, la consommation de céréales n’a augmenté que de 1,8 % depuis les années 1980. C’est donc du côté des agrocarburants que se trouve la cause principale de la hausse de la demande. L’industrie des agrocarburants, basée dans les pays émergents comme dans les pays développés, absorbe 40 % du maïs produit aux Etats-Unis et les deux tiers des huiles végétales de l’UE. Ce développement spectaculaire a été rendu possible, souligne la FAO, par un soutien public massif sous formes de subventions, d’exonération de taxes et d’obligations d’achat, estimé à 5,6 milliards d’euros en Europe et aux Etats-Unis. En parallèle, le soutien à tous les autres secteurs agricoles s’amenuisait. Ce qui amène la FAO à conclure que "l’actuel emballement de la demande mondiale n’est pas la conséquence du développement économique mondial, mais le résultat d’une politique publique menée par les Etats-Unis et les gouvernements de l’UE, le résultat d’un choix politique clair et réversible." Pour Jayati Ghosh, économiste indienne tenant un blog sur le Guardian, ce rapport renverse ainsi "le mythe selon lequel la consommation accrue des pays en développement (Inde et Chine avant tout) mène à une hausse de la demande globale et donc à une hausse des prix des céréales."
L’OFFRE SUIT-ELLE ENCORE LA DEMANDE ?
Face à cette demande dévorante, la FAO redoute que les crises alimentaires soient annonciatrices de la fin d’une longue période de hausse de la production agricole. Certes, la production mondiale a triplé entre 1960 et 2005, mais la courbe a tendance à se tasser depuis quelques années. Par exemple, les rendements de riz stagnent dans plusieurs régions d’Asie. Car les variétés améliorées des produits alimentaires de base ont un rendement à peine équivalent à celles conçues il y a trente ans, les innovations ayant seulement servi à contrer les nouveaux parasites et maladies, de plus en plus résistants. Les ressources bon marché sur lesquelles repose cette agriculture – phosphate pour les engrais, pétrole et eau – se raréfient. Quant à la terre, 10 millions d’hectares sont détruits chaque année par la surexploitation des sols. De 10 à 15 % des terres irriguées sont touchées par la salinisation (accumulation de sels dans les sols), à cause du surplus d’eau. Côté pollution, l’impact global de la contamination par l’azote – fortement suspectée par ailleurs dans la prolifération des algues vertes – coûterait de 70 à 320 milliards d’euros par an, soit plus du double des bénéfices monétaires issus de l’agriculture. Enfin, l’agriculture est l’une des premières causes d’émissions de gaz à effet de serre, contribuant davantage au réchauffement climatique que les transports. Après avoir remis en question les fondements de la demande croissante en denrées agricoles, la FAO pose donc la question des limites de l’offre. En tout cas, les deux parties du marché agricole ont, semble-t-il, de plus en plus de mal à se rejoindre.
 Angela Bolis


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