mercredi 14 octobre 2009

Produire plus et nourrir mieux, le nouveau défi agricole


La Journée mondiale de l'alimentation se tient vendredi, alors que, en 2009, plus d'un milliard de personnes sont encore victimes de la faim. Les causes structurelles des "émeutes de la faim" de 2008 n'ont pas disparu. La crise a réveillé l'une des craintes les plus anciennes de l'homme : pourra-t-on nourrir tout le monde demain ? L'intensification écologique de la production agricole est un nouveau défi pour la recherche.

Il y a plus d'un an, la crise des prix et les "émeutes de la faim" ont conduit à rappeler à tous l'effroyable nombre des personnes sous-nourries : plus d'un milliard aujourd'hui. Depuis, les prix sont retombés des sommets fous qu'ils avaient atteints. La souffrance des pauvres est redevenue silencieuse.

Si d'autres flambées des prix ont eu lieu par le passé, celle de 2008 est pourtant nouvelle. D'abord, c'est la première crise mondiale qui intervient après deux décennies de libéralisation économique. La globalisation des échanges devait permettre de mutualiser les risques, d'assurer plus de sécurité alimentaire. Or, bien que l'on n'ait pas observé de franc déficit de la production agricole, les prix ont quand même flambé.

Aujourd'hui encore, le faible niveau des stocks mondiaux et l'absence de régulations des marchés financiers font craindre de nouvelles crises dans l'avenir. Ensuite, la multiplication des émeutes urbaines, une trentaine en moins d'un mois, a révélé l'effet de la globalisation de l'information, favorisant la contagion des révoltes. Ce qui s'est passé en Haïti a été vu quasiment instantanément dans le reste du monde. La crise de 2008 a donc signé le début d'une ère de plus grande instabilité : économique, politique, de même que climatique. Un premier défi est de parvenir à gérer ces instabilités, à en limiter l'intensité et les effets de paupérisation.

La crise de 2008 a également réveillé l'une des craintes les plus anciennes de l'homme : pourra-t-on nourrir tout le monde demain ? On sait, depuis Malthus, que la population s'accroît plus vite que la production agricole. Les changements alimentaires liés au développement économique et à l'urbanisation accélèrent ce décalage.

Dans ce contexte, la question agri­cole redevient stratégique. La prospective Agrimonde, menée par le Cirad et l'Inra, vise à tester plusieurs scénarios d'évolution de la consommation et de la production à l'horizon 2050. Son intérêt n'est pas de lancer des cris d'alarme en brandissant les courbes malthusiennes. Il s'agit plutôt de construire des scénarios possibles, pour faire face à l'augmentation de la demande sans détruire l'environnement. Laisser les tendances se poursuivre, telle une fuite en avant, mène vers une impasse très probable. Réduire les disparités mondiales de consommation apparaît l'une des conditions pour que l'augmentation nécessaire de la production ne se fasse pas au détriment des générations futures. Non seulement il faudra trouver des solutions qui combinent production et environnement, mais encore faut-il y ajouter une contrainte désormais forte : celle de pouvoir résister aux chocs, aux instabilités, en particulier climatiques. Pour la recherche, ce défi de l'intensification écologique dans un monde instable constitue une révolution scientifique.

Mais produire plus et mieux devra tenir compte de l'enjeu de l'emploi. Dans les pays d'Afrique ou d'Asie, où vit encore la grande majorité de la population sous-nourrie, le secteur agricole reste le principal pourvoyeur de revenus. Or, d'après les tendances démographiques, on estime qu'il est nécessaire dans ces pays de créer environ 30.000 emplois par an et par million d'habitants pour sortir de la pauvreté. Les villes seules ne pourront fournir aux jeunes qui quittent leurs villages des emplois à un rythme suffisant. Il faut donc investir dans le développement rural et renforcer les capacités de résilience des plus vulnérables.

Par ailleurs, la ruée sur les terres et les projets de grandes plantations industrielles à main-d'œuvre salariale font craindre une accélération de la fonte de l'emploi rural. Ces changements structurels doivent être évalués sans a priori idéologique. Il faut se doter d'outils d'analyse pour mesurer les performances environnementale et sociale de ces nouveaux systèmes, et leur capacité de résistance dans un environnement plus instable.

Eliminer la faim dans le monde concerne donc bien l'agriculture, dans toutes ses dimensions, mais aussi de nombreux autres secteurs de la société. En juin 2008, au dernier sommet sur la sécurité alimentaire mondiale à Rome, la France a proposé une gouvernance mondiale de la sécurité alimentaire. Celle-ci doit être fondée sur une alliance multisectorielle, incluant l'agriculture, l'alimentation, l'emploi, le commerce, la santé, l'environnement et la recherche. Mais pour que ces secteurs s'allient à cet objectif, il faut se doter d'outils pour que chacun s'impose d'évaluer les effets de ses actions sur la sécurité alimentaire. C'est une condition absolument nécessaire pour ne pas rester dans les déclarations d'intentions.

Gérard Matheron, directeur général du Cirad (institut français de recherche agronomique au service du développement des pays du Sud et de l'outre-mer français)

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