dimanche 15 février 2009

Comment abattre « le mur de la faim » dans le monde ?

La gravité de la crise alimentaire mondiale est sans précédent et réclame des mesures d'urgence. Près d'un milliard d'êtres humains sont aujourd'hui tenaillés par la famine. En invitant à Madrid à la fin janvier les dirigeants de la planète pour un sommet en partenariat avec l'ONU sur la sécurité alimentaire, l'Espagne a pris un rôle de leader dans le combat contre la faim dans le monde. Plusieurs gouvernements donateurs proposent de mettre en commun leurs contributions financières pour aider les agriculteurs les plus démunis à produire davantage et à sortir ainsi de la pauvreté.

Ces contributions peuvent produire des effets remarquables. En Afrique, en Haïti et dans d'autres régions pauvres, les cultivateurs doivent ensemencer sans l'aide actuellement ni d'engrais ni de semences à rendement élevé. Conséquence, un cultivateur en Afrique produit une tonne de céréales par hectare, contre plus de quatre en Chine.

Avec une aide financière internationale, les agriculteurs en Afrique pourraient enfin acquérir des engrais pour augmenter leur rendement et vendre avec des plus-values leur production. Ce qui leur permettrait d'épargner afin de devenir solvable ou d'acquérir par eux-mêmes après plusieurs années des produits fertilisants nécessaires.

Aujourd'hui, il existe dans le monde un très large consensus sur la nécessité et l'extrême urgence d'augmenter les financements pour les petites exploitations agricoles (deux hectares ou moins) et pour les éleveurs pauvres. En 2008, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, avait estimé le besoin de financement à 8 milliards de dollars environ par an, soit près de quatre fois les montants actuels, pour financer particulièrement les semences enrichies, les engrais, les systèmes d'irrigation, et la formation agricole. En outre, les pays donateurs devraient accorder plus d'aides à la recherche et au développement.

Ce sont des centres de recherche comme l'International Rice Research Institute et l'International Maize and Wheat Improvement Centre qui ont contribué à lancer la « révolution verte » en Asie du Sud-Est.

Des dizaines de pays à faible revenu et souffrant d'un déficit alimentaire ont élaboré, pour augmenter la production alimentaire des petits exploitants, des programmes d'urgence qui sont actuellement bloqués par le manque de dons. En dépit d'un effort courageux de la Banque mondiale en 2008 à travers son Programme d'intervention en réponse à la crise alimentaire mondiale (GFRP), les financements pour subvenir aux besoins urgents de ces pays sont encore insuffisants.

A titre individuel, de nombreux pays donateurs ont déclaré qu'ils sont maintenant prêts à augmenter leur aide financière en direction des petites exploitations agricoles, mais qu'ils sont à la recherche de mécanismes adéquats pour passer à l'action. Les structures d'aide actuelles ne conviennent pas. La vingtaine, ou plus, d'agences bilatérales ou multilatérales en faveur de l'agriculture sont très fragmentées et de taille insuffisante, individuellement et collectivement.

Malgré les efforts généreux de nombreux professionnels, la réponse à la crise alimentaire demeure totalement inadéquate. Les pays africains sont sans cesse, et souvent en vain, à la recherche de petites sommes nécessaires à l'achat d'engrais et de semences enrichies.

Membres d'un comité consultatif pour l'initiative espagnole, mes collègues et moi-même avons préconisé la création d'un compte unique international. Ce mécanisme, le Financial Coordination Mechanism (FCM), permettrait aux pays donateurs de centraliser leurs fonds. Ces fonds réunis permettraient aux exploitants des pays pauvres de se procurer l'engrais, les variétés de semences enrichies et les systèmes d'irrigation à petite échelle qui leur font cruellement défaut.

Les pays pauvres auraient ainsi accès à un financement rapide et anticipé émanant de ce compte unique, plutôt que de dizaines de donateurs distincts et cloisonnés. En regroupant les ressources financières en un FCM unique, les coûts de gestion des programmes d'aide pourraient être réduits au minimum, la disponibilité des flux serait assurée, et les pays pauvres n'auraient pas à poser 25 demandes pour recevoir de l'aide.

Il faut rompre avec nos habitudes. Les donateurs ont promis que l'aide à l'Afrique serait multipliée par deux d'ici à 2010, mais on est loin du compte. Il nous faut faire une percée incontestable. A la fin du mois de janvier, lorsque pays riches et pays pauvres se pencheront ensemble sur les solutions face à la crise alimentaire, Madrid pourrait s'inscrire dans l'histoire. Les vies de plus d'un milliard d'affamés en dépendent.
Jeffrey D. Sachs est professeur d'économie et dirige l'Institut de la Terre à l'université de Columbia.

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