dimanche 19 octobre 2008

«La crise financière occulte la crisealimentaire»


Interview

Sébastien Fourmy, porte-parole d'Oxfam France, de retour des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, déplore l'écart entre les moyens mis en œuvre dans un cas et la passivité dans l'autre.

Recueilli par ELIANE PATRIARCA

Hier à l'issue des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, plusieurs ONG se sont inquiétées que la crise financière ait relégué les difficultés des pays pauvres au second plan. Aux côtés des représentants des pays en développement, elles ont multiplié les appels à ne pas réduire l'aide dans ces temps difficiles pour les budgets des Etats.

Ainsi, dans un communiqué, l'organisation non gouvernementale Oxfam affirme que «ces réunions ont offert un nombre de solutions scandaleusement faible pour les pays les plus pauvres. Les dirigeants mondiaux reconnaissent qu'il y a une crise mondiale de la pauvreté, mais l'ont ignorée». Or, la faim et la malnutrition ne cessent de progresser : plus de 925 millions de personnes souffrent de la faim. «Alors que le monde développé a dégagé plus de 1000 milliards de dollars en quelques semaines pour empêcher ses banques de faire faillite, il ne parvient pas à trouver 1% de cette somme pour aider les pays les plus pauvres à surmonter la crise alimentaire»,ajoute Oxfam. Entretien avec Sébastien Fourmy, coordinateur des campagnes d'Oxfam France-Agir Ici, et de retour de Washington.

L'aide au développement et la crise alimentaire ont-elles été abordées durant ces assemblées ?

La crise financière a occulté les discussions sur la crise alimentaire. On a très peu parlé agriculture, et probablement que si on n'avait pas été là, on n'en aurait pas parlé du tout !

Or la Banque mondiale est l'une des principales institutions à promouvoir depuis des années, par ses programmes d'aide, les monocultures d'exportation dans les pays du Sud au détriment de la petite agriculture familiale et vivrière. Et les pays du Sud en paient aujourd'hui les conséquences avec la flambée des prix alimentaires et la crise qui en découle.

Finalement, en insistant, on a réussi à parler d'aide au développement le dernier jour, dimanche, alors que la plupart des ministres des Finances des pays du Nord étaient déjà repartis pour aller s'occuper de la crise fnancière en Europe !

Ces derniers jours, plusieurs organisations ou experts de l'aide alimentaire se sont dit choqués par la disproportion des moyens.

En effet, il y a un écart patent entre les moyens mis en oeuvre pour tentre de juguler la crise financière mondiale et la passivité de la communauté internationale face à la crise alimentaire et humanitaire. On réussit à trouver quelque 1000 milliards de dollars pour les banques, ce qui montre que quand la communauté internationale veut, elle peut se donner les moyens d'agir vite.

Mais quand il s'agit de la faim, chacun détourne le regard. À la réunion de la FAO en juin, seuls 6,5 milliards d'euros ont été annoncés pour relancer le système agricole de production.

Trente milliards de dollars seulement permettraient de nourrir durant un an les 925 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde. Bien sûr que cela ne serait qu'une solution à court terme, mais cela donne un ordre d'idées : c'est ce que nous avons expliqué aux assemblées du FMI et de la Banque mondiale.

Craignez-vous que l'aide au développement pâtisse de la crise financière, ce qui aggraverait encore la situation des pays en proie à la crise alimentaire?

Oui, c'est une crainte. Par exemple, dans une lettre adressée en février au chanteur Bono, Nicolas Sarkozy écrivait que «les contributions budgétaires qui seront celles de la France au cours des prochaines années seront soumises à l'évolution de la situation économique générale et aux délibérations du Parlement».

Il ya un risque effectivement que les pays les plus pauvres, ceux où les ménages dépensent plus de la moitié de leur revenu pour se nourrir, subissent les effets cumulés de la crise alimentaire et de la récession. Selon le FMI lui-même, 50 pays parmi les plus pauvres seront en 2009 au bord de la rupture. C'est pourquoi Oxfam insiste pour que les engagements des pays du Nord en matière d'aide au développement soient maintenus.

Libération

13 oct. 17h0

samedi 18 octobre 2008

Pour Jean Ziegler, "un enfant qui meurt de faim aujourd’hui est assassiné"

L’ex-rapporteur de l’Onu pour le droit à l’alimentation Jean Ziegler qualifie la faim dans le monde de "crime contre l’Humanité" et s’élève particulièrement contre le développement des biocarburants et la spéculation sur les denrées de base.

"En 2000, le premier objectif du millénaire que les Etats de l’Onu s’étaient fixé était de réduire la faim structurelle de moitié d’ici 2015, or la catastrophe ne cesse de s’agrandir pour toucher 925 millions de personnes", souligne M. Ziegler dans un entretien à l’AFP à l’occasion de la Journée internationale de l’alimentation du 16 octobre.

"Depuis 2000, les Etats les plus riches n’ont pas trouvé les 82 milliards de dollars par an pendant cinq ans nécessaires pour atteindre les huit objectifs du millénaire notamment la fin des épidémies ou de la faim mais parallèlement depuis début septembre des milliers de milliards de dollars ont été brûlés dans la crise financière", s’emporte le sociologue suisse.

Selon M. Ziegler, qui consacre son dernier livre, publié la semaine dernière, à cette thématique, "cette absurdité va renforcer la haine de l’Occident ressentie dans les pays pauvres". "Imaginez-vous en Afrique, les gens qui vont vers la mort à cause de la faim et qui apprennent par leur petite radio que les Américains et les Européens préfèrent sauver leurs banques", s’indigne-t-il. "C’est un crime contre l’Humanité qui est en train d’être perpétré, un enfant qui meurt de faim aujourd’hui est assassiné".

Le manque de moyens financiers concerne également le Programme alimentaire mondial de l’Onu, dépendant de la contribution des Etats, et qui, pour Jean Ziegler, "en est réduit à rationner la nourriture pour les réfugiés, par exemple au Darfour où un adulte reçoit 1.600 calories par jour au lieu des 2.200 recommandées par l’Organisation mondiale de la santé" (OMS).

Selon M. Ziegler, rapporteur spécial de l’Onu pour le droit à l’alimentation de 2001 à 2008, "la tragédie de la faim s’est également amplifiée à cause de l’explosion des prix mondiaux des matières agricoles" qui ont provoqué des émeutes dans une quarantaine de pays au printemps 2008 et "en raison du développement aussi massif que criminel des agrocarburants".

"La Banque mondiale elle-même dit qu’environ 45% de l’augmentation des prix des denrées de base est due aux prélèvements faits sur le marché mondial par les biocarburants", souligne M. Ziegler, aujourd’hui membre du comité consultatif du conseil des droits de l’Homme de l’Onu.

"Pour obtenir 50 litres d’agro-éthanol pour faire marcher une voiture américaine, il faut brûler 358 kilos de maïs, ce qui ferait vivre un enfant mexicain pendant une année", assure-t-il. "Et le crime continue puisque l’Union européenne va s’y mettre".

Parallèlement, ajoute-t-il, environ 40% des augmentations de prix des produits de base, sont dues "à la spéculation de ceux qui ont fui la bourse financière fin 2007 lors du premier petit krach et se sont transportés essentiellement à Chicago où sont fixés spéculativement les prix des principaux produits agricoles".

M. Ziegler espère qu’avec le krach financier, "les gens qui vont souffrir en Occident, vont tout à coup découvrir l’ennemi" qu’il définit comme "le néolibéralisme qui a fait croire qu’une dérégulation frénétique allait résorber tous les problèmes de l’Humanité dont la faim".

Selon lui, "cet obscurantisme totalement discrédité va lentement se déliter en faisant malheureusement d’autres victimes, avant d’être jeté dans les poubelles de l’Histoire".

Par Isabelle LIGNER